samedi 18 octobre 2008

Quand les américains pensent ''petit''

La Presse - Nicolas Bérubé

En vélo au royaume de l'automobile

Los Angeles - Faire du vélo à L.A., c'est choisir un monde parallèle d'où beaucoup de cyclistes ne sortent pas indemnes. Pour Stephen et Enci Box, le vélo est devenu un mode de vie.

La dernière fois qu'il a sorti son Volkswagen Westfalia, il y a deux ans, Stephen M. Box a senti que le moteur n'en n'avait plus pour longtemps.

Ce soir-là, il a stationné son véhicule dans le garage de son immeuble à logements, à Hollywood. Il a sorti ses effets personnels accumulés au fil des ans. Puis il a pris une décision surprenante et même héroïque à L.A.: ne pas s'acheter une autre voiture.

"Le Westfalia est encore là, dit M. Box. On va le visiter de temps en temps. C'est comme un petit musée pour nous. Un souvenir du temps où on avait besoin d'acheter de l'essence pour se déplacer."

Stephen Box et sa femme Enci se déplacent maintenant à vélo. À Los Angeles. Une ville grande comme un petit pays. Une ville où la voiture est si populaire qu'il n'est pas rare de frapper un bouchon de circulation en pleine nuit. Une ville où même les gens qui se promènent à pied sont suspects.

"L'autre jour, un conducteur a baissé sa fenêtre à m'a crié: "Hé! on n'est plus en Europe ici!", raconte M. Box. Je n'ai pas répondu. On s'habitue."

Du soleil toute l'année
Selon la carte météo de la région, L.A. devrait promouvoir le cyclisme. La ville compte en moyenne 329 journées de beau temps annuellement. Certains quartiers sont situés sur des côtes impressionnantes (Hollywood, Silverlake, Echo Park). Mais, de manière générale, Los Angeles est plat comme une pièce de 25 cents, et aussi facile à pédaler que les Pays-Bas.

Du moins en théorie. En pratique, ça se gâte. Les pistes cyclables sont difficiles à trouver. Elles ne relient pas les points importants de la ville. Les automobilistes sont toujours pressés et, jusqu'à ce que la loi soit modifiée cet été, toujours au cellulaire. Porter attention aux vélos autour d'eux ne figure pas dans leurs priorités.

Résultat: même si le prix élevé de l'essence a poussé des gens à prendre leur vélo plus souvent, cette année, le cyclisme reste une activité marginale dans la deuxième ville des États-Unis.

"Les gens n'ont pas une grande tradition de respect pour les cyclistes, explique Bill Rosendahl, conseiller à la Ville de Los Angeles. Maintenant, avec la crise de l'énergie, plusieurs citoyens commencent à aller au travail en vélo. C'est pourquoi il faut travailler ensemble et apprendre à partager la route."

Rouler dans la rue
Sur plus de 10 000 kilomètres de route dans le comté de L.A., à peine 700 sont dotés d'une piste cyclable, dont le quart est situé à l'extérieur des limites de la ville centre.

Le manque de pistes est si flagrant que la Ville permet aux cyclistes de rouler sur les trottoirs, souvent déserts, pourvu qu'ils n'aillent pas trop vite et ne mettent pas la sécurité des piétons en jeu.

Pour M. Box, qui tient un blogue sur le vélo (www.soapboxla.blogspot.com), même ces statistiques décevantes sont trompeuses. "Curieusement, ce sont les rues où il y a des pistes cyclables qui sont les pires. Vous avez les autos garées, les autobus, les voitures qui attentent qu'un stationnement se libère... C'est presque impossible de rouler sur la bande cyclable plus de deux minutes sans que quelqu'un ou quelque chose se mette dans votre chemin."

Lui a réglé la question: il roule dans la rue, en plein centre d'une voie, comme s'il conduisait une voiture.

"Los Angeles est la ville du "moi", dit-il. Les gens ne comprennent pas qu'un cycliste puisse rouler dans la rue, devant eux, devant leur auto! Ils vous regardent, lèvent les bras en l'air et font les gros yeux. Ils n'ont carrément jamais vu ça."

En tant que travailleur communautaire, M. Box doit se rendre aux quatre coins de la ville, souvent dans la même journée. Il dit faire facilement 50 kilomètres par jour, souvent plus. Il se rend à chaque réunion du conseil municipal et milite pour que la question du vélo soit mise à l'ordre du jour.

Par mesure de sécurité, sa femme et lui ont convenu de se donner un coup de fil chaque fois qu'ils arrivent à destination. "Comme ça, on sait que l'autre est en sécurité. Si ma femme ne m'appelle pas, je pars sur la route pour voir si ça va pour elle."

M. Box se fait insulter plusieurs fois par semaine. "Get a car!" est l'insulte la plus courante. D'autres conducteurs lui crient: "Allez vous-en sur le trottoir!". "Ils ne savent pas que nous avons le droit d'être sur la route", conclut-il.

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